L’ours est un personnage central de l’imaginaire pyrénéen. Son mimétisme réel ou supposé avec l’homme alimente tous les fantasmes. Hôte discret de nos montagnes, on ne sait de lui que ce qu’il veut bien nous en dire. Parfois quelques poils, des griffades, exceptionnellement un témoin inopiné.
Au fil des ans, la population ursine a lentement décliné jusqu’à nécessiter l’intervention de l’état au nom de ses engagements nationaux et internationaux. Une forte polémique a fait mousser le débat autour des réintroductions.
Le plantigrade fait l’objet d’une abondante littérature
Le philosophe Hippolyte Taine en fait une description des plus savoureuse dans son Voyage aux Pyrénées de 1855. Tout est dit en quelques mots. « L’ours est une bête grave, toute montagnarde, avec sa houppelande grisâtre ou jaunâtre de poils feutrés. Il semble formé pour son domicile et son domicile pour lui. Sa grosse fourrure est un excellent manteau contre la neige. Les montagnards la jugent si bonne, qu’ils la lui empruntent le plus souvent qu’ils peuvent, et il la juge si bonne, qu’il la défend contre eux le mieux qu’il peut ».
Pour le psychiatre et ethnologue Boris Cyrulnik : « tout est rond chez lui, la face, la truffe, le ventre. Il est l’objet transitionnel idéal, déclencheur immédiat d’émotion tendre »
Les « tartarins » exagèrent à l’envie sa férocité, sa taille, son poids, ses crocs, ses griffes et ses grognements.
L’ours a l’honneur et le malheur d’être le plus grand fauve sauvage de notre vieux continent
La souche pyrénéenne est l’une des 2 espèces européennes sur les 8 présente dans le monde. Son poids et sa taille sont imposants, Le mâle Pyros affiche gaillardement 235 Kg pour 1,90 m debout. Plus petites, les femelles ne pèsent qu’entre 65 et 125 Kg. Le record pyrénéen absolu est détenu par l’ours Dominique tué en 1848 à Ayous par Jean Loustau. (350 KG).
Avec ses griffes non rétractiles, il marque son territoire et à éventre le cas échéant quelques brebis grassouillettes ayant eu la funeste idée de croiser son chemin à l’heure du déjeuner.
Doté d’un cœur puissant, c’est un infatigable marcheur, préférant la nuit pour ses déplacements.
Contrairement à l’idée répandue, l’ours est omnivore et végétarien à 70 %. Il vit plutôt dans les bois et se nourrit de produits de saison. Il peut arriver qu’il s’approche des espaces habités.
Au moment du rut, qui a lieu en mai, Madame Ourse accorde ses faveurs à plusieurs prétendants et de fait le fruit de ses amours peuvent provenir de pères différents
La « nidification différée » retarde jusqu’à l’entrée de l’hiver, le développement des embryons.
La femelle profite de cette période de calme relatif pour donner naissance à un ou plusieurs petits.
A la naissance ils ne pèsent que 300g.
L’hiver, il hiberne dans sa tanière que les montagnards appellent la « tutte ». Vivant de 25 à 30 ans, l’animal est méfiant et craintif, Son excellent odorat compense une vue médiocre. Quant à Monsieur Ours, son os pénien, le met à l’abri, au moment crucial, des pannes éventuelles …
De nombreuses légendes
Debout sur ses pattes arrière, son humanité dérange et fascine.
On lui attribue nos manières de manger, de frapper à la porte, de lancer des pierres et de s’accoupler en missionnaire (ce qui est faux !). Divers surnoms lui sont attribués en référence à sa forme humaine : Lou Moussu (le Monsieur), Lou Courailhat, (le vagabond), Marti aus pès descaous (Martin aux pieds nus).
Les ours pyrénéen ont tous nom de baptême. Les villageois, pouvant ainsi avoir de leurs nouvelles.
Une large place est faite à l’ours dans la mythologie pyrénéenne où il est souvent décrit comme un voleur de femmes. Témoin, l’histoire de Jean de l’ours, né des amours contre-nature avec une jeune fille enlevée et retenue prisonnière dans sa grotte. Elle met au monde un être hybride, velu et fort comme son père. Réussissant à pousser l’énorme rocher qui fermait l ‘entrée de la « tutte », il s’évade avec sa mère et parcourt le monde.
Plus prés de nous, les archives historiques de l’Ariège relatent l’histoire véridique de la femme sauvage du Vicdessos. En 1808, une sauvageonne est aperçue en forêt par des chasseurs. Elle courait nue dans les rochers. Capturée et interrogée, elle répondit clairement : « Les ours étaient mes amis ! Ils me réchauffaient !» Privée de liberté, elle se laissa mourir.
La chandeleur élève l’ours au rang de messager du printemps
Cette fête populaire trouve son origine dans un ancien culte païen remontant aux Celtes et aux Romains. Les dictons populaires disent que début février, l’animal sort de sa « tutte » pour juger du temps qu’il fait et libérer ses intestins. S’il fait beau, il se met aussitôt en quête de l’arum sauvage dont les effets purgatifs ne se font pas attendre. D’un pet énorme, il éjecte le bouchon formé pendant son sommeil hivernal. Le « pet de l’ours » résonne jusque dans la vallée. Les villageois satisfaits savent alors que les beaux jours sont de retour. Si ce jour-là le temps est mauvais, il retourne se coucher pour 40 jours
La chandeleur est aussi le point de départ des festivités carnavalesques dont l’ours est la vedette dans de nombreux villages pyrénéens.
Au début des années 90, le dernier ours disparaît du noyau central des Pyrénées
Les scientifiques s’accordent à considérer que les 7 à 8 individus restants ne sont pas suffisants pour maintenir la viabilité de la population. Ils estiment qu’elle est condamnée à péricliter par consanguinité, puis à terme, disparaître purement et simplement.
L’état prend alors les choses en main, au titre de la convention de Berne et de la directive européenne « Habitats ». Ces deux textes stipulent que les états sont responsable de la conservation de la vie sauvage. Devant la menace d’extinction de la population ursine, la réintroduction d’ours d’origine Slovène est décidée. Les trois premiers lâchers auront lieu en 1996 et 1997, dans le calme et en public. Les suivants se dérouleront dans un climat tendu.
En 2004 deux drames vont sonner le glas définitif de la souche pyrénéenne. Cette année-là, Papillon et Cannelle, les deux derniers ours de souche pyrénéenne disparaissent.
Le patriarche Papillon, âgé de 30 ans meurt de vieillesse. L’ourse Cannelle est tuée par un chasseur dont la Justice a reconnu la légitime défense. Son fils Cannelito, slovène par son père, survivra malgré son jeune âge et la privation de sa mère.
Les réintroductions se poursuivent par le lâcher de cinq sujets en 2005
Les « antis » se mobilisent et se livrent des combats homériques au nom du refus de « l’ensauvagement des Pyrénées ». Le 1°avril 2006, une manifestation d’une rare violence met à sac le village d’Arbas, siège des « pro-ours ».
Devant l’argument prix souvent avancé, l’état joue la clarté. Le coût du dernier lâcher est chiffré précisément à 112 350 €. D’importantes mesures d’accompagnement sont mises en œuvre dans le cadre du « plan ours » : Des aides à l’emploi de gardien de troupeaux, des héliportages de matériel pour faciliter la vie des bergers en montagne zone à ours, l’amélioration des cabanes, le financement de parcs de contention pour le bétail, des mesures incitatives pour se doter de chiens de protection.
Elles ne suffisent pas à calmer la colère des « antis » prônent leur refus au motif que « les percevoir serait accepter implicitement les réintroductions ».
En 2010, la population ursine pyrénéenne est estimée à une vingtaine d’individus
Les ours slovènes semblent s’être bien adaptés au milieu pyrénéen. Plusieurs naissances ont même eu lieu. Seul bémol dans les Pyrénées occidentales où ne subsistent que 2 mâles énamourés. Il était prévu qu’une femelle soit lâchée en mai 2011, au milieu des deux messieurs dans l’espoir que la nature fasse le reste. Intense déception. L’état renie ses engagements au motif non avouable que derrière chaque ours des centaines d’électeurs sommeillent. Officiellement, c’est la sécheresse, mais personne n’y croit. Même les ours en rigolent le soir au fond des bois. L’avenir du noyau occidental est suspendu aux résultats des prochaines élections.
Par Gérard Caubet