Décidément, la recherche d’un mot peut s’avérer aussi difficile que celle d’une fleur rare.
« The Isophene, » selon l’écrivain naturaliste anglais Richard Mabey (« Flora Britannica ») est la courbe joignant les points d’un égal stade de développement saisonnier d’une plante.
Les primevères fleurissant aujourd’hui à Auch, Toulouse et Millau sont rejoint par cette ligne : demain elle sera à Cahors et Bordeaux, après demain à Brive, etc, etc. Mais, mon Larousse et Robert ne connaissant point ce mot « isophène », en français, je pars fouiller dans la jungle de l’internet. Oui le mot existe en français mais il est utilisé aussi, dans un contexte géologique par exemple, pour décrire les « zones de faciès similaires. » Alors attention à ne pas confondre vos isophènes.
Bien, l’isophène, celui des plantes, avance « à peu près à la même vitesse qu’un homme qui marche, » nous assure l’auteur britannique.
Quelle belle image! Je me vois en train de marcher vers Paris, une ligne de couleurs printanières s’étendant de chaque côté, poussé par la marche inexorable du printemps vers le Nord. Dans les villages comme dans les jardins des villes, les citoyens se disent, « les primevères sont sorties, » et le cœur est plus léger car ça veut dire que le printemps est là, enfin. Certaines personnes, dites « naturalistes », affligées par un comportement que l’on peut définir d’ »obsessionnel », vont noter, comme chaque année, la date de floraison. Et ces données, à travers le pays et le continent, consistent en « l’isophène. » « L’isophène de la primula vulgaris est bien en avance cette année, » déclare le naturaliste.
Seulement, la marche des isophènes est bien plus compliquée qu’une simple progression vers le Nord.
Évidement, l’avancée de la floraison est influencée par la proximité de l’océan et l’altitude.
Dans une région de montagne, ceci est très évident. On perd 7°C. pour chaque 1000 m grimpés, sans compter le vent. L’an passé j’ai noté la floraison des hépatiques au village à 430 m, mi février, alors que le début de leur floraison à 1400 m dans les Pyrénées n’a été notée que fin mars, soit cinq semaines plus tard pour une différence de 1000 m. En rentrant en courant à la maison, j’ai retrouvé ma calculatrice, et voilà le résultat : en 2009 dans la vallée de l’Arros (65), l’isophène de l’ hépatica nobilis a grimpé de 200 m par semaine, donc 28,5 m par jour, qui donne 1,19 m à l’heure !
Mais ce n’est pas aussi simple : dans ces zones fortement accidentées le printemps commence dans les pâturages autour des villages et descend dans la fraîcheur de la vallée étroite en même temps qu’il grimpe : l’inversion des températures est très nette dans les gorges, avec des gelées de longue durée et une végétation bien plus habituelle à des altitudes supérieures, les hêtraies par exemple. Au mois de mai l’isophène du merisier rend ce phénomène très évident, les arbres vêtus de leurs fleurs blanches étant bien visibles, avançant vers le bas et vers le haut.
Donc on est vraiment gâté ici, ces microclimats et différences d’altitude en montagne constituent un terrain de rêve pour les botanistes, car le printemps dure bien plus longtemps que les trois mois standard.
Tout commence avec les espèces de plaine début février (pulmonaires, hépatiques etc.) et termine au dessus de 2600 m avec les espèces alpines au mois d’août (renoncule des glaciers, marguerite des alpes etc.) Régalez-vous alors, mais attention à ne pas trébucher sur les isophènes…
Par Julien Johnston
Accompagnateur en montagne